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toujours besoin de nous embellir. Quel est le terme auquel il doit s’arrêter ? Je crois qu’il peut nous agrandir tant qu’il voudra , pourvu que l’illusion ne disparaisse point, pourvu que nous nous reconnaissions encore. L’intérêt cesse avec la vraisemblance ; mais ce qui est vraisemblable pour l’un, ne l’est pas pour l’autre. Nous jugeons les hommes vertueux , suivant les moyens que nous avons de les égaler. La décision de ce procès appartient exclusivement au très-petit nombre d’hommes qui , nés avec un sens droit et une âme élevée , peuvent trouver l’appréciation vraie de chaque chose , peuvent dire : ce sentiment est juste et noble ; celui-ci est vrai ; celui-là est faux ou exagéré. L’un doit naître dans un cœur honnéte ; l’autre n’existe que dans la tète d’un poète qui s’efforce de créer des vertus. Croyons qu’il est des hommes dignes de porter un tel jugement.

Souvent un seul sentiment faux détruit une illusion délicieuse , et la détruit plus désagréablement qu’une invraisemblance. Qu’une mère, réduite à la dernière infortune par l’erreur d’un juge, se retire dans un cloître avec sa fille ; qu’elle passe pour la gouvernante de son enfant ; qu’appelée ensuite, par un concours de circonstances, dans la maison de son juge , elle y vienne avec sa fille ; que le fils de ce juge devienne amoureux de la jeune personne ; que la tendre gouvernante se défie de cet amour, et veille sur sa fille avec toutes les inquiétudes et toutes les transes de la mater-