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lui rendent les hommes assemblés; et dans les rencontres ordinaires de la société , on n'aperçut jamais un des deux frères , sans croire qu'il cher- chait l'autre. A force de les voir presque insépa- rables, on disait, on affirmait qu'ils ne s'étaient jamais séparés, même un seul jour. Il fallait bien ajouter au prodige ; et leur union était mise , dès leur vivant, au rang de ces amitiés antiques et fa- meuses qui passionnent les âmes ardentes, et dont on se permet d'accroître l'intérêt par les embellis- semens de la fiction. Eh! qu'en est- il besoin , lorsqu'ils se sont fait mutuellement tous les sacri- fices , et enfin celui d'un sentiment qui , pour l'ordinaire, triomphe de tous les autres ? M. de la Curne est près de se marier : M. de Sainte-Palaye ne voit que le bonheur de son frère ; il s'en ap- plaudit; il est heureux; il croit aimer lui-même

Mais, la veille du jour fixé pour le mariage, M. de la Curne aperçoit, dans les yeux de son frère, les signes d'une douleur inquiète, mêlée de ten- dresse et d'indignation. C'est que M. de Sainte- Palaye , au moment de quitter son frère, redou. tait pour leur amitié les suites de ce nouvel enga- gement. Il laisse entrevoir sa crainte ; elle est partagée. Le trouble s'accroît, les larmes coulent. « Non, dit M. de la Curne , je ne me marierai » jamais. » Les sermens furent réciproques; et jamais ils ne songèrent à les violer. C'est ainsi que M. de Sainte-Palaye vit exécuter, et lui-même exécuta une des lois de la chevalerie qui lui plai-

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