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Le théâtre et la société ont une liaison intime et nécessaire. Les poètes comiques ont toujours peint, même involontairement, quelques traits du caractère de leur nation ; des maximes utiles, répandues dans leurs ouvrages, ont corrigé peut-être quelques particuliers ; les politiques ont même conçu que la scène pouvait servir à leurs desseins ; le tranquille Chinois, le pacifique Péruvien allaient prendre au théâtre l’estime de l’agriculture, tandis que les despotes de la Russie, pour avilir aux yeux de leurs esclaves le patriarche dont ils voulaient saisir l’autorité, le faisaient insulter dans des farces grotesques : mais que la comédie dût être un jour l’école des mœurs, le tableau le plus fidèle de la nature humaine, et la meilleure histoire morale de la société ; qu’elle dût détruire certains ridicules, et que, pour en retrouver la trace, il fallût recourir à l’ouvrage même qui les a pour jamais anéantis : voilà ce qui aurait semblé impossible avant que Molière l’eût exécuté.

Jamais poète comique ne rencontra des circonstances si heureuses : on commençait à sortir de l’ignorance ; Corneille avait élevé les idées des Français ; il y avait dans les esprits une force nationale, effet ordinaire des guerres civiles, et qui peut-être n’avait pas peu contribué à former Corneille lui-même : on n’avait point, à la vérité, senti encore l’influence du génie de Descartes, et jusque-là sa patrie n’avait eu que le temps de