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DE CHAMFORT. 213^

le martyr; il aimait les hommes , car il était un vrai sage , mais il les craignait encore plus ; il les regardait comme ces enfans indociles qui abusent souvent de la confiance qu'on leur mon- tre; il pensait que la vérité ne doit point se hâter de paraître , que le sage doit distribuer son ac- tion avec une prudente économie, cacher adroi- tement le but qu'il ne faut pas montrer , déposer dans un endroit inconnu un germe que la généra- tion suivante verra éclore , frapper dans le silence et dans la racine l'arbre nuisible , au tronc duquel il serait dangereux d'attacher la coignée. Aussi ménagea-t-il notre faiblesse : il commença par introduire la philosophie auprès de cette moitié du genre humain qui gouverne l'autre , et lui prêta toutes les grâces de ce sexe. Il ne heurta point de front les préjugés réunis, mais il les combattit en détail : il délia le faisceau au lieu de le rompre ; au lieu de saper ouvertement l'édi- fice de l'erreur, il cacha dans ses fondemens la mine dont l'explosion Ta renversé dans la suite. Il fit entrer dans nos yeux à peine ouverts uiîe lumière douce , un jour tempéré , mais sans ombre ; ou , s'il répandit quelque nuage sur ce ciel si pur, ce fut afin qu'il servît d'asile à la vé- rité, et que son défenseur pût au besoin s'y réfu- gier auprès d'elle^

Quiconque a détruit un préjugé, un seul pré- jugé , est un bienfaiteur du genre humain. Quelle reconnaissance n'aurait-on pas due à celui qui au-

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