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DE CHAMFORT. -lOt)

monde sent qu'il ne l'est pas des esprits. Il s'a- dresse an génie , plus fort que lui ; il appelle au- tour de son trône , encore mal affermi , les rois de l'éloquence , de la poésie et des arts ; il les in- téresse à sa gloire. Horace, Virgile, Ovide, Tibulle célèbrent les charmes de son empire. Bientôt les fiers Romains sont changés. Ils baisent leurs fers avec respect , et chantent les louanges de leur maître. Le goût du luxe et des plaisirs passe de leurs écrits dans les mœurs ; et les champs , en- core sanglans de la lutte terrible des tyrans et de la liberté , se couronnent de fleurs , s'embel- lissent de spectacles , de jeux et de fêtes. Quelle étonnante révolution ! quelques années aupara- vant, mille Romains s'écriaient encore avec Caton: Un tyran peut-il vivre tandis que je respire ?YX je vois sous Auguste , le fils de Labéon appelé in- sensé pour avoir osé , dans le sénat , donner son suffrage à un ennemi de l'empereur! Et j'entends tous les Romains répéter d'après leur maître : Qu est-ce que cette couronne de laurier^ qu'un amas de feuilles inutiles? eux qui , pour' obtenir ces feuilles, avaient renversé Carthage et conquis l'univers ! Ce fut ainsi que les grands écrivains du siècle d'Auguste amenèrent les Romains à traiter de folie le noble enthousiasme de la liberté. Plus près de nos jours et dans une île voisine , le génie n'a-t-il pas opéré une révolution non moins ra- pide et plus heureuse ? Charles ii , dont le trône touchait presque à l'échafaud de son père, vit sa

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