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liens dont il se croyait garrotté : d’abord il remit son brevet d’appointemens ; et bientôt, se trouvant mal à l’aise dans un palais où tout lui parlait de grandeurs, il voulut aller respirer ailleurs l’air de la liberté. On ne manqua pas de crier à l’ingratitude ; et pourtant ce n’était que reflet de cette humeur ombrageuse, pour qui le poids de la reconnaissance était même un trop pesant fardeau.

Il s’était retiré en auteur dégoûté des grands, du monde, et des succès littéraires. Une femme aimable, dont il fit la connaissance à Boulogne, lui tint lieu, pendant six mois, de tout ce qu’il voulait oublier. La mort vint rompre des liens que l’habitude n’aurait pas tardé à relâcher. Retombé dans une morne mélancolie, Chamfort en fut tiré par M. de Choiseul-Gouffier, qui l’emmena avec lui en Hollande ; le comte de Narbonne était du voyage ; son esprit vif et étincelant puisait de nouvelles saillies dans celui de Chamfort.

Admis à l’Académie française, à la place de Sainte-Palaye, il prononça lui discours de réception, qui est resté un des morceaux les plus remarquables de ce genre. Depuis que son esprit et ses succès l’avaient lancé dans le grand monde, il n’y était pas resté spectateur oisif, ni, si l’on veut, spectateur bénévole ; les vices qu’on appelait aimables, les ridicules consacrés et passés en usage, avaient fixé ses regards ; et c’était par le plaisir de les peindre qu’il se dédommageait souvent de l’ennui et de la fatigue de les voir. Ses