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XXIII

LE SATYRE ET LA FLÛTE


Toi, de Mopsus ami ! Non loin de Bérécynthe,
Certain satyre, un jour, trouva la flûte sainte
Dont Hyagnis calmait ou rendait furieux
Le cortège énervé de la mère des dieux.
Il appelle aussitôt du Sangar au Méandre
Les nymphes de l’Asie, et leur dit de l’entendre ;
Que tout l’art d’Hyagnis n’était que dans ce bui ;
Qu’il a, grâce au destin, des doigts tout comme lui.
On s’assied. Le voilà qui se travaille et sue.
Souffle, agite ses doigts, tord sa lèvre touffue,
Enfle sa joue épaisse, et fait tant qu’à la fin
Le buis résonne et pousse un cri rauque et chagrin.
L’auditoire étonné se lève, non sans rire.
Les éloges railleurs fondent sur le satyre,
Qui pleure, et des chiens même, en fuyant vers le bois,
Évite comme il peut les dents et les abois.


XXIV


De nuit, la nymphe errante à travers le bois sombre
Aperçoit le satyre ; et, le fuyant dans l’ombre,
De loin, d’un cri perfide, elle va l’appelant.
Le pied-de-chèvre accourt, sur sa trace volant,
Et dans une eau stagnante, à ses pas opposée,
Tombe, et sa plainte amère excite leur risée.


XXV


L’impur et fier époux que la chèvre désire
Baisse le front, se dresse et cherche le satyre.
Le satyre, averti de cette inimitié,
Affermit sur le sol la corne de son pié ;
Et leurs obliques fronts, lancés tous deux ensemble,
Se choquent ; l’air frémit, le bois s’agite et tremble.