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Ce que dans mon malheur je dus à ses bienfaits.
Dieux, l’homme bienfaisant est votre cher ouvrage ;
Vous n’avez point ici d’autre visible image ;
Il porte votre empreinte, il sortit de vos mains
Pour vous représenter aux regards des humains.
Veillez sur Cléotas ! Qu’une fleur éternelle,
Fille d’une âme pure, en ses traits étincelle ;
Que nombre de bienfaits, ce sont là ses amours,
Fassent une couronne à chacun de ses jours ;
Et quand une mort douce et d’amis entourée
Recevra sans douleur sa vieillesse sacrée,
Qu’il laisse avec ses biens ses vertus pour appui
À des fils, s’il se peut, encor meilleurs que lui.

— Hôte des malheureux, le sort inexorable
Ne prend point les avis de l’homme secourable.
Tous, par sa main de fer en aveugles poussés,
Nous vivons ; et tes vœux ne sont point exaucés.
Cléotas est perdu ; son injuste patrie
L’a privé de ses biens ; elle a proscrit sa vie.
De ses concitoyens dès longtemps envié,
De ses nombreux amis en un jour oublié,
Au lieu de ces tapis qu’avait tissus l’Euphrate,
Au lieu de ces festins brillants d’or et d’agate
Où ses hôtes, parmi les chants harmonieux,
Savouraient jusqu’au jour les vins délicieux,
Seul maintenant, sa faim, visitant les feuillages,
Dépouille les buissons de quelques fruits sauvages ;
Ou, chez le riche altier apportant ses douleurs,
Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs.
Errant et fugitif, de ses beaux jours de gloire
Gardant, pour son malheur, la pénible mémoire,
Sous les feux du midi, sous le froid des hivers,
Seul, d’exil en exil, de déserts en déserts,
Pauvre et semblable à moi, languissant et débile,
Sans appui qu’un bâton, sans foyer, sans asile,
Revêtu de ramée ou de quelques lambeaux,
Et sans que nul mortel attendri sur ses maux
D’un souhait de bonheur le flatte et l’encourage ;
Les torrents et la mer, l’aquilon et l’orage,