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De toute servitude ennemis indomptés ;
Mieux qu’eux, par votre exemple, à vous vaincre excités,
Osons ; de votre gloire éclatante et durable
Essayons d’épuiser la source inépuisable.
Mais inventer n’est pas, en un brusque abandon,
Blesser la vérité, le bon sens, la raison ;
Ce n’est pas entasser, sans dessein et sans forme,
Des membres ennemis en un colosse énorme ;
Ce n’est pas, élevant des poissons dans les airs,
À l’aile des vautours ouvrir le sein des mers ;
Ce n’est pas sur le front d’une nymphe brillante
Hérisser d’un lion la crinière sanglante :
Délires insensés ! fantômes monstrueux !
Et d’un cerveau malsain rêves tumultueux !
Ces transports déréglés, vagabonde manie,
Sont l’accès de la fièvre et non pas du génie ;
D’Ormus et d’Ariman ce sont les noirs combats,
Où, partout confondus, la vie et le trépas,
Les ténèbres, le jour, la forme et la matière,
Luttent sans être unis ; mais l’esprit de lumière
Fait naître en ce chaos la concorde et le jour :
D’éléments divisés il reconnaît l’amour,
Les rappelle ; et partout, en d’heureux intervalles,
Sépare et met en paix les semences rivales.
Ainsi donc, dans les arts, l’inventeur est celui
Qui peint ce que chacun put sentir comme lui ;
Qui, fouillant des objets les plus sombres retraites,
Étale et fait briller leurs richesses secrètes ;
Qui, par des nœuds certains, imprévus et nouveaux,
Unissant des objets qui paraissaient rivaux,
Montre et fait adopter à la nature mère