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La mémoire reliai leur frappante merveille.
Seuls fastes des mortels, ce langage épuré
Des usages, des lois, fut le dépôt sacré.
Grâce aux vers immortels, la seule Mnémosyne
Des siècles et des arts conserva l’origine.
Nul art n’a précédé l’art sublime des vers :
Il remonte au berceau de l’antique univers ;
Et cet art, le premier qu’inspira la nature,
S’éteindra le dernier chez la race future.
Aime cet art céleste, et vole sur mes pas
Jusqu’aux lieux où la gloire affronte le trépas.
Soit que ton Apollon, vainqueur dans l’épopée,
T’honore d’une palme à Voltaire échappée ;
Soit que de l’élégie exhalant les douleurs,
De Properce, en tes vers, tu ranimes les pleurs
Soit qu’enivré des (eux de l’audace lyrique,
Tu disputes la foudre à l’aigle pindarique ;
Ou soit que, de Lucrèce effaçant le grand nom.
Assise au char ailé de l’immortel Buffon,
Ta Minerve se plonge au sein de la nature,
Et nous peigne des cieux la mouvante structure,
Tu me verras toujours applaudir tes succès,
Et du haut Hélicon t’aplanir les accès.

Que du faîte serein de ce temple des sages
Tu verras en pitié le monde et ses orages.
Tant d’aveugles mortels s’agiter follement,
Aux sentiers de la vie errer confusément,
Se croiser, se choquer, disputer de richesse.
Combattre d’insolence ou lutter de bassesse,
S’élever en rampant à d’indignes honneurs,