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on combattait. Alors aussi les lettres furent honorées, car elles méritaient de l’être. On se plut à révérer des hommes qu’on voyait travailler dans les travaux communs, et travailler encore quand les autres se reposaient ; se distinguer de leurs citoyens par un talent de plus ; veiller sur les dangers encore lointains ; lire l’avenir dans le passé ; employer leur étude, leur expérience, leur mémoire, au salut public ; aussi vaillants que les autres et plus éclairés, servir la Patrie par la main et par le conseil. Comme ils étaient respectables, ils furent respectés, et ils devenaient magistrats, législateurs, capitaines.

Les choses furent ainsi tant que l’on conserva les bonnes institutions, qu’il n’y eut parmi les hommes d’inégalité que de mérite, et que les talents, le travail et une vie innocente menaient à tout ce qu’un citoyen peut désirer justement. Bientôt, lorsque l’avarice, la mollesse, la soif de dominer et les autres pestes qui précipitent les choses humaines, eurent perverti le bon ordre et corrompu la République ; qu’un petit nombre se partagea tout ; que les ancêtres et les richesses se mirent au-dessus des lois ; que les nations purent se vendre et s’acheter, et que la bassesse des uns et l’insolence des autres se liguèrent pour que la vertu pauvre fût obscure et méprisée, elle fut contrainte à se replier sur soi-même et à tirer d’elle seule son éclat et sa vengeance. Alors donc, plus qu’auparavant, des hommes vécurent uniquement pour les lettres. Exclus de l’honneur de bien faire, ils se consolèrent dans la gloire de bien dire. Des écrivains employèrent une éloquence véhémente