Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/326

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un goût sage et pur au milieu des extravagances de Boucher et de ses contemporains, il a mûri, il a nourri ce que la nature lui avait donné de grands talents, par l’étude constante des chefs-d’œuvre d’Italie, et surtout de ses magnifiques restes de sculpture antique échappés, je ne sais comment, au temps, aux barbares et aux fureurs du christianisme, pour venir former Le Poussin et l’École romaine. Ce n’est point là, sans doute, qu’il trouve ses grandes pensées ; le vieil Horace armant ses trois enfants, et son petit-fils, âgé de cinq ans, se mordant la lèvre et contemplant ce spectacle avec une sorte d’envie ; Brutus seul dans sa famille et comme exilé dans sa maison, et ne trouvant d’asile qu’à l’ombre de la déesse à qui il vient de faire de si grands sacrifices ; Socrate continuant son discours et tendant le bras au hasard pour recevoir la ciguë ; le Serment du Jeu de paume, une des plus belles compositions qu’aient enfantées les arts modernes, dans laquelle une multitude de figures, animées d’un même sentiment, concourent à une même action, sans confusion et sans monotonie : tout cela n’appartient sans doute qu’à l’âme et au génie de l’artiste. Mais ce qui est en grande partie produit par l’étude des modèles dont nous venons de parler, c’est la grandeur et la majesté des compositions ; la finesse et la vérité exquises des expressions, variées suivant l’âge et le sexe ; la fidélité dans tous les détails, et cette beauté de formes, cette simplicité facile dans les draperies, cette naïveté à la fois touchante et austère, et ces grâces franches et nobles qui sont de tous les temps et de tous les lieux.