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pour que je puisse en parler. Les Filles de Crotone devant Zeuxis ont-elles bien l’expression qu’elles devaient avoir ? ont-elles ce mélange de pudeur joint à un peu d’orgueil d’avoir été choisies pour représenter la beauté même ? Ces vierges grecques ont-elles rien de ces formes grecques que les médailles, les sculptures, les peintures antiques nous ont transmises avec certitude ? ont-elles dans leurs attitudes, dans leurs draperies, cette simplicité naïve qui plaît et attache ; Et un manque de grâces chez elles, et l’extrême froideur du peintre assis, qui semble attendre avec ennui qu’on soit prêt pour qu’il commence, n’ôtent-ils pas à ce sujet tout ce qu’il avait d’aimable et de séduisant ?

La Clémence d’Auguste semble-t-elle un tableau qui parte de l’âme ? La figure de Cinna, extrêmement ignoble, n’a-t-elle pas une attitude forcée, une expression grimaçante, chargée et presque inintelligible ? Et l’empereur, au lieu d’être gravement assis comme s’il donnait audience, ne devrait-il pas avoir sur la bouche et dans les yeux ce sourire indulgent et caressant d’un homme outragé qui pourrait se venger, et qui pardonne et veut devenir ami ? Enfin, n’y a-t-il pas dans tout cela une certaine pompe factice et théâtrale qui n’est pas de la noblesse ?

Quant à M. David, quoiqu’il y eût une véritable injustice à humilier tous les autres artistes devant lui, il y en aurait, ce me semble, une aussi grande à lui contester le titre de chef de notre école, que son génie et ses travaux lui ont acquis déjà même chez les étrangers. Élevé par M. Vien, qui avait conservé