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C’est un pauvre poète, ô grand Dieu des armées !
Que seul, captif, près de la mort,
Attachant à ses vers des ailes enflammées
De ton tonnerre qui s’endort,
De la vertu proscrite embrassant la défense,
Dénonce aux juges infernaux
Ces juges, ces jurés qui frappent l’innocence,
Hécatombe à leurs tribunaux.
Eh bien, fais-moi donc vivre, et cette horde impure
Sentira quels traits sont les miens !
Ils ne sont point cachés dans leur bassesse impure :
Je le vois, j’accours, je les tiens.

… Ô Dieu, la vertu… ta fille
L’innocence, la probité, etc., ta famille

    Mais pour graver aussi la honte ineffaçable,
    Paros de l’ïambe acéré
    Aiguisa le burin brûlant, impérissable.
    Fils d’Archiloque, fier André,
    Ne détends point ton arc, fléau de l’imposture.
    Que les passants pleins de tes vers,
    Les siècles, l’avenir, que toute la nature
    Crie à l’aspect de ces pervers :
    « Hou, les vils scélérats ! les monstres, les infâmes !
    De vol, de massacres nourris,
    Noirs ivrognes de sang, lâches bourreaux des femmes
    Qui n’égorgent point leurs maris ;
    Du fils tendre et pieux ; et du malheureux père
    Pleurant son fils assassiné ;
    Du frère qui n’a point laissé mourir dans la misère
    Périr son frère abandonné.
    Vous n’avez qu’une vie… ô vampires…..
    Et vous n’expierez qu’une fois
    Tant de morts et de pleurs, de cendres, de décombres,
    Qui contre vous lèvent la voix !