Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vérité se tait ! Dans sa bouche glacée,
Des liens de la peur sa langue embarrassée
Dérobe un juste hommage aux exploits glorieux !
Vivre est-il donc si doux ? De quel prix est la vie,
Quand sous un joug honteux la pensée asservie,
Tremblante, au fond du cœur se cache à tous les yeux ?

Non, non, je ne veux point t’honorer en silence,
Toi qui crus par ta mort ressusciter la France,
Et dévouas tes jours à punir des forfaits.
Le glaive arma ton bras, fille grande et sublime,
Pour faire honte aux Dieux, pour réparer leur crime,
Quand d’un homme à ce monstre ils donnèrent les traits.

Le noir serpent sorti de sa caverne impure,
À donc vu rompre enfin sous ta main ferme et sûre
Le venimeux tissu de ses jours abhorrés !
Aux entrailles du tigre, à ses dents homicides,
Tu vins redemander et les membres livides,
Et le sang des humains qu’il avait dévorés !

Son œil mourant t’a vue, en ta superbe joie,
Féliciter ton bras, et contempler ta proie.
Ton regard lui disait : « Va, tyran furieux,
Va, cours frayer la route aux tyrans tes complices.
Te baigner dans le sang fut tes seules délices ;
Baigne-toi dans le tien et reconnais tes dieux. »

La Grèce, ô fille illustre, admirant ton courage,
Épuiserait Paros, pour placer ton image
Auprès d’Harmodios, auprès de son ami ;