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De tel, qui, possédé de son docte travers,
Inepte et bête à tout ce qui n’est pas des vers.
Ridicule jouet d’une verve inquiète,
À toute heure est poète et n’est rien que poète.
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Pour tout esprit bien fait les lettres ont des charmes.
À ce penchant si doux on voudrait obéir ;
Les lettrés ont pris soin de les faire haïr.
Elles n’ont point ici d’ennemis plus contraires
Que ces brigands pompeux, ministres littéraires.
Dont la ligue, formée en corps tumultueux,
Repousse l’homme simple, et droit, et vertueux.
Ah ! de quelque laurier que leur main nous honore,
Il faut les bien aimer pour les aimer encore,
Quand d’un œil studieux on a vu tour à tour
Quels indignes humains commandent dans leur cour.

Mais il fait beau les voir s’écriant tous ensemble,
Tels qu’en un carrefour où la meute s’assemble.
Des dogues, l’œil ardent et luttant à grands cris.
D’un festin nuptial s’arrachant les débris.
D’une triste assemblée, immolée à leurs veilles,
Se disputer entre eux les yeux et les oreilles.
L’un au loin dans Strabon voyage et s’applaudit ;
L’autre un calcul en main l’arrête et l’interdit ;
Mais l’autre au milieu d’eux, toujours, toujours poète,
Improvise, extravague, embouche la trompette,
Répond en hémistiche et cite de grands mots
Qu’au théâtre le soir mugit quelque héros.