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Punit la vérité du courageux affront
Qui, sous le diadème, a fait rougir son front.


LES CYCLOPES LITTÉRAIRES[1]


CHANT PREMIER


Ce n’est plus un sommet serein, couvert de fleurs,
Qu’habitent aujourd’hui les poétiques sœurs ;
C’est l’antre de Lemnos, sombre et sinistre asile,
Où vingt Cyclopes noirs et d’envie et de bile,
Prompts à souffler des feux par la haine allumés,
Trempent aux eaux du Styx leurs traits envenimés ;
Et d’outrage, de fiel, de calomnie amère,
Forgent sous le marteau l’Ïambe sanguinaire.

Toi donc, ô dieu des vers, qui nourris de tes eaux
Ton interprète heureux, le sage Despréaux,
Et Voltaire, et Corneille, et l’âme de Racine,
Et Malherbe, et Lebrun à la lyre divine,
Et ce rêveur charmant chez qui, jusqu’aux poissons,
Tout parle, tout, pour l’homme, a d’utiles leçons ;
Et deux ou trois encor, honneur de ton empire,
Que la France a vus naître et que l’Europe admire,
Donne-moi de pouvoir sous leurs riches palmiers
Faire germer aussi mes timides lauriers !
Donne-moi, d’un poète, esprit, gloire, génie,
Tout, excepté pourtant l’enfantine manie

  1. Ce poème a paru en grande partie dans l’édition de G. de Chénier.