Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/185

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Un jeune homme orgueilleux, et docte réputé,
Tout plein de quelque auteur au hasard feuilleté,
Étonne un cercle entier de sa haute sagesse ;
Il se joue avec grâce aux dépens de la messe ;
Il plaisante le pape et siffle avec dédain
Tous ces livres sacrés qu’enfanta le Jourdain.
Et puis d’un ton d’apôtre, empesé, fanatique.
Il prêche les vertus du baquet magnétique.
Et ces doigts qui de loin savent bien vous toucher.
Et font signe à la mort de n’oser approcher.
Un tel conte à ses yeux est moins plat, moins indigne
Que ce vin frauduleux, étranger à la vigne,
Par qui sont de Cana les festins égayés,
Ou ces diables pourceaux dans le fleuve novés.
C’est que son jugement n’est rien que sa mémoire ;
S’il croit même le vrai, c’est qu’il est né pour croire.
Ce n’est point que le vrai saisisse son esprit.
Mais que Bayle ou Voltaire ou Jean-Jacques l’a dit.
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....................
..........Et le pauvre hébété
N’est incrédule enfin que par crédulité.


Oui, partout invoquant le sceptre ou la tiare,
Partout de l’ignorance appui lâche et barbare.
Partout, d’un fer obscur armant ses viles mains.
Partout, au nom des dieux écrasant les humains,
La stupidité règne, insolente, impunie,
Tourmente les talents, opprime le génie,