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Mais, quand il faut partir, ses bras, ses faibles bras
Ne peuvent sans terreur l’envoyer aux combats.
Dans la France, pour toi, que faut-il que j’espère ?
Jadis, enfant chéri, dans la maison d’un père
Qui te regardait naître et grandir sous ses yeux,
Tu pouvais sans péril, disciple curieux,
Sur tout ce qui frappait ton enfance attentive
Donner un libre essor à ta langue naïve.
Plus de père aujourd’hui ! Le mensonge est puissant ;
Il règne. Dans ses mains luit un fer menaçant.
De la vérité sainte il déteste l’approche.
Il craint que son regard ne lui fasse un reproche ;
Que ses traits, sa candeur, sa voix, son souvenir,
Tout mensonge qu’il est, ne le fassent pâlir.
Mais la vérité seule est une, est éternelle.
Le mensonge varie, et l’homme trop fidèle,
Change avec lui : pour lui les humains sont constants,
Et roulent, de mensonge en mensonge flottants.
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Perdu, n’existant plus qu’en un docte cerveau,
Le français ne sera dans ce monde nouveau
Qu’une écriture antique et non plus un langage.
Ô si tu vis encore, alors peut-être un sage
Près d’une lampe assis, dans l’étude plongé,
Te retrouvant poudreux, obscur, demi-rongé,
Voudra creuser le sens de tes lignes pensantes.
Il verra si, du moins, tes feuilles innocentes
Méritaient ces rumeurs, ces tempêtes, ces cris,
Qui vont sur toi, sans doute, éclater, dans Paris.