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son couteau à manche de bois, excepté pourtant Rinconète qui prit sa demi-dague. Les deux vieillards en serge noire et l’introducteur furent chargés de verser à boire dans la tasse de liége. Mais à peine les convives avaient-ils commencé à donner l’assaut aux oranges, que de grands coups frappés à la porte leur donnèrent l’alarme en sursaut. Monipodio leur ordonna de se tenir tranquilles ; il entra dans la salle basse, décrocha un bouclier, mit l’épée à la main, et, s’approchant de la porte, demanda d’une voix creuse et formidable : « Qui frappe là ? — Personne ; ce n’est que moi, seigneur Monipodio, répondit-on du dehors. Je suis Tagarote[1] la sentinelle de ce matin, et je viens vous dire que voici Juliana la Cariharta[2] qui vient tout échevelée et tout éplorée, comme s’il lui était arrivé quelque désastre. » En ce moment, arriva, poussant des sanglots, celle qu’annonçait la sentinelle. Monipodio l’entendit, et lui ouvrit la porte. Il ordonna à Tagarote de retourner à son poste, et lui recommanda de donner désormais avis de ce qu’il verrait avec moins de bruit et de tapage ; ce que l’autre promit de faire. Pendant ce colloque, était entrée la Cariharta, fille de la même espèce et du même métier que les autres ; elle venait les cheveux au vent, la figure pleine de bosses et de contusions, et dès qu’elle entra dans la cour, elle se laissa tomber par terre, évanouie. La Gananciosa et la Escalanta s’empressèrent de lui porter secours, et lui ayant délacé sa robe, elles lui trouvèrent la poi-

  1. Escogriffe.
  2. La Joufflue.