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appartient à un sacristain de ses parents, et il est juste d’accomplir à son égard le proverbe qui dit : « À celui qui te donne la poule entière, tu peux bien lui en donner une patte. » Ce bon alguazil laisse passer à nous plus de choses en un jour que nous ne pouvons, ni ne pensons lui en donner en cent. » Tous les assistants, d’un avis unanime, approuvèrent le procédé noble et délicat des deux nouveaux frères, ainsi que la sentence et la résolution de leur supérieur, lequel alla donner la bourse à l’alguazil. Pour Cortadillo, il fut confirmé avec le titre de bon, tout comme s’il se fût agi de Don Alonzo Perez de Guzman, surnommé le bon, qui jeta du haut des murs de Tarifa la dague pour égorger son fils unique[1].

Au retour de Monipodio, deux filles entrèrent avec lui, le visage fardé, les lèvres couvertes de carmin et la gorge de blanc de céruse, des demi-mantes de camelot sur les épaules, libres, hardies, dévergondées. À de si claires enseignes, Rinconète et Cortadillo reconnurent au premier coup d’œil qu’elles étaient du métier galant, et certes ils ne se trompaient pas. Dès qu’elles furent entrées, elles allèrent toutes deux, les bras ouverts, l’une à Chiquinazque,

  1. En 1294, l’infant Don Juan de Castille, frère révolté de Sancho IV, assiégeait, avec une armée musulmane, la ville de Tarifa. Il apprit qu’un jeune fils du gouverneur Alonzo Perez de Guzman était en nourrice dans un village voisin. Il l’envoya prendre, le porta au pied des murailles, fit appeler Guzman, et le menaça, s’il n’ouvrait sur-le-champ les portes de la place, de faire périr son fils à ses yeux. Le père, pour toute réponse, détacha son épée et la jeta au prince, qui eut la barbarie d’en percer l’enfant.