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En voyant les joies des vivants, je me souviens de ces fêtes qui se donnaient jadis à bord des vaisseaux négriers. Les malheureux nègres condamnés, il les fallait distraire, pour les empêcher de mourir.

Aussi, le soir, quand un bon vent gonflait les voiles, deux par deux, des profondeurs de la cale, ils montaient sur le pont. Altérées, mourantes, les pauvres bêtes venaient boire l’air, la lumière, la fraîcheur du soir, l’immensité de l’horizon ; on les laissait parler à leurs femelles ; et même, si ce soir-là le capitaine était en belle humeur, on leur ôtait leurs chaînes ; les pauvres animaux pouvaient une heure boire, danser, chanter (car rien ne délivre autant que l’eau-de-vie, la danse ou la musique) ; et, sous les belles étoiles des tropiques, le navire s’illuminait ; le noir troupeau un instant oubliait ses peines ; de grosses lèvres furtivement se baisaient dans l’ombre ; les castagnettes de fer grinçaient tout à coup, les tambours mugissaient, les flûtes soupiraient, et nègres et