Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/97

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J’ai paſſé deux ou trois heures à penſer à ce que je pouvois ſubſtituer à l’amadou, ſeul ingrédient qui me manquoit, et que je ne ſavois pas ſous quel prétexte je pourrois me procurer. Lorsque je commençois à déseſpérer de la choſe je me ſuis ſouvenu d’avoir recommandé à mon tailleur de me doubler d’amadou mon habit de taffetas ſous les aiſſelles, et de le couvrir avec de la toile cirée pour empêcher la tache de ſueur qui ordinairement principalement dans l’été gâte dans cet endroit là tous les habits. Mon habit que je n’avois porté que quatre heures ſans ſuer étoit là vis à vis de moi ; mon cœur palpitoit ; le tailleur auroit pu avoir oublié mon ordre ; je n’oſois pas me lever, et aller faire deux pas pour voir d’abord ſi l’amadou y étoit ; c’étoit la ſeule matière qui manquoit à mon bonheur ; j’avois peur de ne pas la trouver, et de payer trop cher mon déſabus, qui alloit me priver d’un ſi cher eſpoir. Il fallut à la fin m’y réſoudre. Je m’approche de la planche où mon habit étoit ; mais tout d’un coup je me trouve indigne de cette grace, je me jette à genoux, et je prie Dieu que par ſa bonté infinie il faſſe que le tailleur n’ait pas oublié mon ordre. Après cette chaude prière je déploie mon habit, je décous la