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je voulois manger dans le jour ſuivant, parceque la ſeule heure à laquelle il pouvoit monter là-haut étoit à la pointe du jour : il finit par me dire que l’illuſtriſſimo ſignor ſecretario avoit effacé de ma note tous les livres que j’avois ordonnés en lui diſant qu’il m’en enverra des convenables à mon état actuel. Je lui ai ordonné de le remercier de ma part de ce qu’il ne m’avoit fait mettre en compagnie de perſonne. Il me répondit qu’il fera ma commiſſion, mais que j’avois tort de me moquer, puisque je devois ſentir qu’on ne m’avoit mis tout ſeul que pour me rendre la priſon plus pénible. Il avoit raiſon, et je m’en ſuis bien apperçu quelques jours après. J’ai reconnu qu’un homme mis dans l’impoſſibilité de s’occuper, et enfermé tout ſeul dans un endroit quaſi obſcur, où il ne peut appeller perſonne, et où il ne voit qu’une fois en vingt quatre heures, celui qui lui porte ſa nourriture doit ſe trouver dans un vrai enfer. La compagnie d’un aſſaſſin, d’un fou, d’un malade puant, d’un ours, d’un tigre eſt préférable à une ſolitude de cette eſpèce : elle déseſpère ; mais on ne peut le ſavoir qu’en ayant fait l’expérience.