Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Coneillan pour dix-ſept heures préciſes ; il étoit alors quinze heures et demi. Je me ſentois mourir d’inanition, et j’aurois pu à la hâte manger une ſoupe ; mais un quart d’heure pouvoit m’être fatal : j’avois toujours devant mes yeux une eſcouade d’archers, qui me garrottoient. Il me ſembloit qu’étant rattrapé, j’aurois non ſeulement perdu la liberté, mais l’honneur. Je me ſuis acheminé à la porte S. Thomas, et je ſuis ſorti de la ville comme un homme, qui alloit ſe promener : après avoir marché un mille ſur le grand chemin, j’en ſuis ſorti pour ne plus y rentrer : je me ſuis déterminé à ſortir de l’état en marchant toujours entre les champs, et non pas par Baſſan, qui auroit été le plus court chemin, mais par Feltre : ceux qui ſe ſauvent, doivent toujours choiſir le débouché le plus éloigné, car on pourſuit toujours les fuyards par le chemin qui mène au plus voiſin, et on les rattrape.

Après avoir marché trois heures, je me ſuis étendu ſur la dure n’en pouvant poſitivement plus : il falloit me procurer quelque nourriture ou mourir là. J’ai dit au moine de placer près de moi mon manteau, et d’aller à une maiſon de fermier que je voyois pour