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leur adreſſe deux lettres, desquelles dépendoit ma félicité. Je lui ai demandé, s’il vouloit jurer ſur le crucifix, et ſur la ſainte vierge qu’il ne me trahiroit pas. Il me répondit qu’il étoit prêt à jurer, et à mourir plutôt que de manquer à ſa foi, et il verſa des larmes, dont la grande ſource ne s’ouvroit qu’après qu’il avoit bu. Je lui ai d’abord fait préſent d’une chemiſe, et d’un bonnet. Je me ſuis alors levé, j’ai ôté le mien, et devant les deux ſaintes images j’ai prononcé une formule de ſerment avec des conjurations qui n’avoient pas l’ombre du bon ſens, mais qui étoient épouvantables : j’ai arroſé d’eau bénite le cachot, ſa perſonne, la mienne, et je me ſuis fait pluſieurs ſignes de croix : je l’ai fait mettre à genoux, jurer, et ſe faire les plus horribles imprécations, s’il violoit le ſerment : intrépide il a dit tout ce que j’ai voulu. Après cela je lui ai donné mes deux lettres décachetées, et ce fut lui-même qui voulut les coudre dans la doublure du dos de ſa veſte pour qu’on ne puiſſe pas les lui trouver, ſi par hazard on eût voulu le fouiller à ſa ſortie.

J’étois moralement ſûr que cet homme remettroit mes lettres au ſecrétaire : auſſi ai-je employé tout l’art pour que le tribunal