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à cinquante ans petit, maigre, laid, mal vêtu, en perruque noire, et ronde : deux archers le dégarotèrent. Je n’ai pas douté que ce ne ſoit un gueux, puisque Laurent me l’avoit annoncé à ſa préſence ſans que le titre ait rébuté le perſonnage. Je lui ai répondu que le tribunal étoit le maître, et je l’ai prié de ne pas s’en aller ſans lui donner une paillaſſe : il eut cette complaiſance. Après nous avoir enfermés, il lui dit que le tribunal lui paſſoit dix ſous par jour : mon nouveau camarade lui répondit Dieu les lui rende. Malgré que déſolé, j’ai commencé d’abord à examiner ce coquin que ſa phyſionomie déceloit. J’avois beſoin de le ſonder, et pour le connoître il falloit le faire parler.

Il commença par me remercier que je lui avois fait porter une paillaſſe. Je lui ai dit qu’il mangera avec moi, et à toute force il a fallu que je me laiſſe baiſer la main : il me demanda, s’il pouvoit demander au gardien les dix ſous que le tribunal lui donnoit, et en prenant un livre, et faiſant ſemblant de lire, je lui ai répondu qu’il feroit fort-bien. J’ai vu cet homme ſe mettre à genoux, et tirer de ſa poche un chapelet : il cherchoit des yeux, et je ne ſavois pas quoi. Que cher-