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rois mieux ſuccomber aux dangéreuſes conſéquences d’un effort qu’aller au devant d’une odieuſe ſuſpicion de peu de complaiſance. Voilà donc cette hiſtoire qui jusqu’à ce jour ne fut par moi communiquée niſi amicis idque coactus parvenue à la poſſibilité de devenir publique. Soit. Je ſuis arrivé à un âge, où il faut que je faſſe à ma ſanté de bien plus grands ſacrifices. Pour narrer, il faut avoir la faculté de bien prononcer : la langue déliée ne ſuffit pas, il faut avoir des dents, car les conſonnes auxquelles elles ſont néceſſaires compoſent plus d’un tiers de l’alphabet, et j’ai eu le malheur de les perdre : l’homme peut s’en paſſer pour écrire, mais elles lui ſont indiſpenſables s’il veut parler, et perſuader.

Celui de ſurvivre au dépériſſement de nos membres, et à la perte de ce dont notre individu a beſoin pour ſon bien être eſt un grand malheur, car la misère ne peut dépendre que du manque du néceſſaire ; mais ſi ce malheur arrive quand on eſt vieux, il ne faut pas s’en plaindre, puisque ſi l’on a enlevé nos meubles, on nous a laiſſé du moins la maiſon. Ceux qui pour ſe délivrer de pareils maux ſe ſont tués ont mal raiſonné,