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pas m’en repentir ; je me trouvois deſtitué d’éſpoir, et je ne ſentois autre ſoulagement que celui que je pouvois me procurer en ne penſant pas à l’avenir. Ma penſée s’élevoit à Dieu, et l’état où j’étois me ſembloit une punition venante de lui directement de ce qu’après qu’il m’avoit laiſſé le tems d’achever mon ouvrage, j’avois abuſé de ſa grace en tardant trois jours à me ſauver. J’en convenois ; mais en même tems j’accuſois la punition de trop de ſévérité, puisque je n’avois différé de trois jours que par prudente précaution. Pour brusquer la raiſon qui me fit fixer ma fuite au 27, il m’auroit fallu une révélation ; et la lecture de Marie d’Agreda ne m’avoit pas fait devenir fou.

Une minute après que Laurent m’eut quitté, deux de ſes gens me portèrent mon lit, c’eſt-à dire les draps, les matelas, et la paillaſſe, et s’en allèrent pour prendre le reſte ; mais deux heures entières s’écoulèrent ſans que je viſſe perſonne, malgré que les portes de mon cachot fuſſent ouvertes. Ce retard me cauſoit une foule de penſées, qui me rendoient ſtupide : je ne pouvois rien deviner, et je devois tout craindre ; je tâchois de me mettre dans un état aſſez tranquille pour ſouf-