Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saluais l’antique cité de Burgos, ce cœur de la vieille Espagne ; et la monotonie de ces horizons sans fin et de ces champs dépeuplés me préparait aux solennelles tristesses que la campagne romaine était appelée à me faire éprouver plus tard dans sa sainte plénitude.

Les quelques mois que je passai en Espagne profitèrent un peu à mes plaisirs et beaucoup à mon instruction. De toutes les capitales méridionales, Madrid est assurément, en exceptant Rome, celle où la vie est la plus agréable pour l’étranger. La haute société madrilène, qui ne change guère de résidence et ne connaît pas la vie de château, le proverbe le dit assez, suit toujours, quoique d’un peu loin, le mouvement de nos modes comme celui de nos idées ; et lorsqu’elle les adopte, c’est en y joignant, grâce à l’esprit naturel des femmes, une piquante originalité qui ne se rencontre ni en Portugal ni en Italie. L’accès en est facilité par une prévenance empressée, et je pus, quoique fort en passant, profiter de cette hospitalité charmante.

Malgré la cordialité de l’accueil qu’y rencontrent les étrangers, l’Espagne est certainement, de tous les pays de l’Europe, celui contre lequel la verve ironique des voyageurs s’est exercée avec la rigueur la plus impitoyable. Le moyen de s’en étonner, d’après la première impression produite par cette contrée singulière sur la plupart de ceux qui la visitent ? Comment un Anglais, accoutumé à parcourir l’Europe en poste, avec tout le comfort britannique, et à trouver partout les respects acquis d’avance aux voyageurs assez riches pour les