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d’Hauterive avait beaucoup trop d’esprit pour la faiblesse de son caractère. Appartenant un peu à la famille des hommes à une idée par jour, il surabondait en vues politiques, auxquelles il substituait sans nulle difficulté des idées contraires, selon le mouvement des vents et des flots. Son intelligence était si prompte, que pour lui les pensées ne se trouvaient jamais en retard sur les événements accomplis. Une disposition innée, singulièrement fortifiée par l’habitude, le conduisait d’ailleurs à croire que la France avait toujours le meilleur des gouvernements possibles. Il ne doutait de la durée des pouvoirs qu’au lendemain de leur chute : un manque de confiance lui aurait fait l’effet d’un manque de fidélité.

Porté, après de longues pérégrinations dans toutes les parties du monde, du fond d’une cellule aux portes d’un ministère, le comte d’Hauterive avait une conversation moins piquante encore par la variété de ses souvenirs que par la verve intarissable qu’il mettait à les rappeler. Aussi passionné dans ses appréciations qu’il était inconstant dans ses idées, il avait des engouements aveugles, mais passagers. La bienveillance qu’il m’accorda fut d’ailleurs constante, et je compte parmi mes meilleures heures celles que je consacrais chaque matin à écouter ce vieillard si jeune d’esprit, chez lequel le scepticisme n’avait pas éteint la passion.

Je me plongeai, sous sa direction éclairée, dans la lecture des correspondances diplomatiques, prenant un plaisir inexprimable à suivre le drame des affaires