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Son champ peut-il ou ne peut-il pas nourrir une famille ? peut-il se marier on non ? sont des questions auxquelles chaque homme peut répondre à l’instant, sans hésitation, sans grand calcul. C’est l’habitude de compter sur la chance, où le jugement n’a rien de bien clair devant loi, qui cause les mariages téméraires imprévoyants, dans les classes tant basses qu’élevées de la société et produit parmi nous les maux de l’excès de population. Il faut bien que la chance entre dans le calcul de chacun alors que manque la certitude, comme c’est le cas là où, grâce à notre distribution de propriété une subsistance assurée n’est que le lot d’un petit nombre au lieu d’être celui des deux tiers de la population[1]. »

Ailleurs, et ceci est daté de la Suisse, il dit : « Notre paroisse est divisée en trois communes ou administrations. Dans celle que j’habite, Veytaux, il n’y a pas un seul pauvre, bien qu’il y ait un fonds amassé pour les pauvres et que le village se pense assez important pour avoir sa poste aux lettres, sa pompe à incendie, son watchmann et qu’il y ait une population de banlieue à l’entour. La raison est claire sans avoir recours à aucune contrainte morale mystérieuse ou à aucune addition des maux de l’excès dépopulation, à partir de ce qui arriva aux anciens Helvétiens (ainsi que saint François a l’absurdité de le supposer possible), dont Jules César réprima par le glaive l’émigration, résultat de l’excès de population. La paroisse est un des vignobles les mieux cultivés et les plus productifs de l’Europe, elle est divisée en parcelles entre un nombre considérable de petits propriétaires. La partie située trop haut sur la montagne pour recevoir de la vigne, est en vergers, en prairies, en pâture. Il n’y a point de fabriques ni de chance qu’il vienne du travail industriel dans la paroisse. Les petits propriétaires, avec leurs fils et leurs filles, travaillent sur leur propre terre, savent exactement ce qu’elle produit, ce qu’il leur en coûte pour vivre et si la pièce de terre peut supporter deux familles ou une. Ils vivent à l’aise en leur qualité de propriétaires. Ils sont bien logés, les maisons bien meublées et ils vivent bien quoiqu’ils soient des hommes de travail. J’ai vécu chez l’un d’eux pendant deux étés de suite. Ce sont gens qui ne s’aviseraient pas plus de songer au mariage sans avoir le moyen de vivre convenablement que ne le feraient les fils et les filles d’aucun gent-

  1. Laing. Notes of a Traveller, London, 1854, p. 33.