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L’inverse de ceci se trouve quand les échanges de service, tant physique qu’intellectuel, viennent à s’opérer petit à petit, et minute à minute, à mesure que des milliers d’individus combinent leurs efforts, en masse ou par groupe, pour la production de cinquante ou cent mille feuilles de papier imprimé, à répartir à un demi-million de lecteurs, dont chacun aura, pour une fraction infinitésimale d’une once d’argent, sa part du travail de tous les individus intéressés dans l’œuvre de la production, — chacun de ces derniers obtenant sa part de la somme à laquelle contribuent ceux qui consomment ses produits. Cette série de composition, décomposition et recomposition ne s’accomplirait jamais sans un médium d’échange universellement acceptable et susceptible d’une compo- .

    vieux et infirme, et ne peut plus affronter la grosse mer et prendre le poisson.
      « Mais j’en vois là quelques-uns sur votre livre, reprit Marstrand, qui ne doivent rien, et même qui ont quelque chose à l’avoir.
      « Bast ! répondit le négociant d’un air fin, d’ici à une semaine ils retomberont dans mes mains. Depuis leur retour de Lofodden, ils se reposent, mènent joyeuse vie. D’ailleurs, il est de règle et d’usage parmi nous, qu’un négociant ne prête point au pêcheur qui voudrait s’adresser à un autre. — Personne ne peut l’écouter que son créancier précédent ne le permette. Voyez autour de nous les criques et les détroits ; et les petites stations de pêche avec leurs huttes et une couple d’acres de champ et de prairie — tout cela est dans nos mains. Nous l’avons acheté et loué à tout ce monde qui habite ici, ou nous leur avons prêté de l’argent là dessus, et nous pouvons chasser les tenanciers si bon nous semble. Nous pouvons vendre leur vache, saisir leur bateau et les réduire à une misère, à un dénuement si absolu qu’ils n’auraient plus d’alternative que dans un plongeon dans la mer.
      « Et probablement le cas n’est pas rare,, dit le jeune gentilhomme.
      « Bast ! grommela Helgestadt, tant qu’un homme peut travailler, il y a chance pour qu’il puisse payer ses dettes ; et tant que cette perspective existe, un négociant n’ira pas à la légère mettre la corde au cou d’une bonne pratique. Tout homme sage veille sur son avoir, et quand il pressent le danger il cesse de prêter ; et quand le bon moment est venu il invoque l’intervention de l’homme de plume.
      « Si bien, dit Marstrand, dont le sens de justice se révoltait, que pêcheurs et ouvriers sont saignés à blanc sans jamais pouvoir échapper à leur malheureux sort.
      « Helgestadt attacha sur lui son regard sombre C’est folie à vous, dit-il, de dire que les négociants sont le fléau du pays. Si vous étiez marchand, vos yeux s’ouvriraient et vous avoueriez qu’il n’en peut être autrement. Les pêcheurs, les gens de la côte, Normands, Quanes et Danois doivent être nos serviteurs — ils nous les faut tenir tous dans un état de dépendance et de pauvreté, — autrement nous ne pourrions exister. C’est un fait, monsieur. Celui qui ne comprend pas l’art de si bien calculer qu’il ne reste rien à cette canaille paresseuse, imprévoyante, et de la traiter sans ménagement quand il n’y a plus rien à en tirer, fait mieux de ne pas se mettre dans les affaires. » — Afraja, ou la vie et l’amour en Norwége.