Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disaient : « Sur le premier point, nous savons que tu mens et que tu es très habile ; pour le reste nous doutons, car nous ne voyons pas quoi tend ce mot d’ignorance, surtout de la part d’un homme qui s’est vanté si souvent de ne jamais mentir ». Quant à l’exemple inimitable de mon enseignement, le degré positif (comme disent les grammairiens) a cessé d’étonner depuis que le superlatif est devenu familier. On ne voulut pas tenter d’en voir l’expérience ; mais le soleil ne brille pas moins quand il est caché par une nue épaisse. Il ne faut pas te tourmenter si, quand ta chambre est pleine de lumières éclatantes, ceux qui sont au dehors refusent de les voir, pas plus qu’il ne faut craindre qu’une chose divine périsse ; car les fleurs adorent le soleil levant que les Garamantes[1] maudissent : partout en effet, ne se manifeste pas seulement la divine providence, mais brille aussi une puissance éternelle. En outre, je ne me contentai pas d’exceller dans la leçon extemporanée, je l’enseignai encore aux autres. Et si grand que je puisse paraître par là, (54) je n’avais ni élégance dans l’expression, ni abondance dans l’élocution, de sorte que je perdais de ce côté ce que j’avais gagné de l’autre. Dans la discussion j’étais si fougueux que tous en admiraient l’exemple et en évitaient l’épreuve. Aussi ai-je vécu longtemps débarrassé de cette charge, surtout après qu’on en vit deux cas qui passèrent tout espoir. D’abord à Pavie, Branda Porro, autrefois mon maître en philosophie, s’était mêlé à une dispute ordinaire que je soutenais contre Camuzio en philosophie, sujet où l’on m’attirait souvent, car on jugeait, je l’ai dit, qu’en médecine je ne leur laissais aucun espoir de gloire. Il avançait l’autorité d’Aristote dont il citait les paroles. — « Prends garde, lui dis-je, non manque après album, et la phrase est contre toi. » — « Pas du tout », s’écria Porro. Moi, mettant à profit le rhume de cerveau que j’ai continuellement[2], je répondais avec lenteur ; furieux, il envoie chercher le volume ; je le réclame, il me le fait donner ; je lis ce qu’il y avait. Soupçonnant que je me moquais de lui, il me l’arrache des mains en criant que je voulais tromper les auditeurs et se met à lire ; en arrivant au mot en discussion, il lit et se tait. Tout le monde (55) était stupéfait ; et, les yeux tournés vers moi, les assistants admiraient. À peu de jours de là, il arriva que Branda se rendit à Milan. On avait écrit l’affaire au Sénat qui lui demanda si c’était vrai. En homme probe et sincère il répondit que ce n’était que trop vrai et que ce jour-là il devait être ivre, croyait-il. Le Sénat se tut, bouche bée.

  1. Les Garamantes sont une peuplade africaine, au sud-est des Gétules ; mais Hérodote (V, 184) attribue aux Atarantes qui habitent à dix journées de marche des Garamantes la coutume rapportée ici.
  2. Cf. XII Genitur. (V, 522) : laboraui perpetuo defluuio pituitae insipidae a cerebro ad uentriculum et hoc etiam ab utroque parente haereditarium fuit.