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que m’offrait le roi de France ; je craignis d’offenser les Impériaux alors que la guerre sévissait entre ces princes. Il en fut de même de celles qu’à mon retour je reçus du prince de Mantoue[1] par l’intermédiaire de D. Ferrante, son oncle. Ainsi encore pour une offre antérieure à celle-ci — plus riche mais trop incommode — venant de la reine d’Écosse dont j’avais soigné le beau-frère : il avait été poussé par l’espoir de recouvrer la santé et, après sa guérison, par l’expérience faite et la reconnaissance.

Je revins donc en 1559 à Pavie. Peu après je perdis mon fils[2] ; mais j’y restai jusqu’en 1562. Je fus alors appelé à Bologne où mon emploi me fut maintenu jusqu’en 1570. Le 6 octobre, je fus emprisonné[3]. Sauf ma liberté perdue, on se conduisit civilement à mon égard. Le 22 décembre, le même jour et à la même heure où (23) j’avais été arrêté, c’est-à-dire un vendredi à la tombée de la nuit, je revins chez moi ; mais ma maison fut ma prison. Ma première détention fut de soixante-dix-sept jours, la seconde chez moi de quatre-vingt-six, en tout cent-soixante-trois jours. Je restai à Bologne la fin de cette année et l’année suivante jusqu’au terme de ma soixante-dixième année, à la fin de septembre. Je vins ensuite à Rome le jour de la glorieuse bataille contre les Turcs, le 7 octobre[4]. Il s’est passé quatre ans depuis le jour de mon arrivée dans la ville et cinq depuis mon emprisonnement. Depuis lors je vis en simple particulier, si ce n’est que le 13 septembre le Collège romain m’a reçu et que le Souverain Pontife m’alloue une pension.


  1. Guglielmo duc de Mantoue de 1550 à 1587, fils de Frédéric et neveu de Ferrante Gonzaga gouverneur du Milanais de 1546 à 1555.
  2. Son fils Giovanni Battista, condamné à mort pour avoir tenté d’empoisonner sa femme, fut exécuté le 10 avril 1560. Voir chap. X, XXVII, XXVIII.
  3. Sur l’ordre du Saint-Office (cf. chap. XLIII). Le vingt-sept octobre, d’après les instructions du Légat pontifical son nom fut rayé du rôle des professeurs de l’Université ; le 22 mars 1571 on lui communiqua la décision de l’Inquisition : il devait abjurer les erreurs contenues dans certains de ses ouvrages et renoncer à enseigner et à publier de nouveaux livres (Bibl. de Bologne, ms 1860 : Litterae Sacrae Congregationis 1571-1576, lettres des 18 février et 10 mars 1571). Les erreurs auxquelles faisait allusion la sentence sont sans doute celles qui sont relevées dans les Index expurgatoires (Cf. celui de Soto-Major, Madrid 1667, p. 519). Les circonstances mêmes de l’arrestation sont toujours restées obscures. Sans doute des soupçons devaient-ils être nés depuis longtemps sur la piété de Cardan (cf. chap. XXXIII n. 2) et on lui prêtait des propos, plus audacieux encore que ses écrits, dont les notes mss du fonds Gianorini (à la bibliothèque universitaire de Pavie) nous ont rapporté des échos : « Affermò che il mondo è stato ab eterno, argomentandolo dall’ eternità del mare… si lasciò intendere che da prima l’uomo fu generato ex putri come i sorci e le rane. Inventò che gli energumeni non sono altrimente dal diavolo, ma tormentati dall’ atrabile. Nell’ opera de subtil. lib. de daemonibus, scrive cose tali della magia domestica e dello spirito familiare di Fazio suo padre, che lui stesso rendono gagliardamente sospetto di tal magagna. Et io ho conosciuti due Religiosi della Compagni di Gesù molto vecchi, che havendolo praticato in Bologna, raccontavano di haverlo veduto nella stanza del suo studio in presenza di parecchie altre persone far muovere o girarsi quella pentola di molte che haveva avanti, o rompersi quell’occhio delle invetriate, cui gli astanti havessero disegnato. E perché quei buoni Padri gli dicevano : Signor Girolamo, questo non si può fare, cioè senza peccato ; egli rispondeva : diavolè (parola molto a lui familiare) purché’l sia fatto. » Il ne fallait peut-être pas davantage que ces ragots, mais une autre hypothèse s’offre avec plus de vraisemblance. Son fils Aldo, dans une confession générale de ses fautes écrite pendant une détention le 13 mars 1574, entre autres torts dont il s’accuse à l’égard de son père, énonce ceci : « Scrissi una lettera a S. Emilio Maluezzo et un’ altra al mastro di posta di Bologna doue minacciai di uoler accusar mio patre a papa pio quinto se non mi daua dinari ». (Sur la conduite de ce fils voir chap. XXVII et note 6.) Aldo se vengeait ainsi de la sévérité impitoyable mise par son père à le poursuivre et à le faire punir pour le vol de son argent et de ses pierres précieuses, commis en 1569. (Cf. chap. XXXV n. 3.)
  4. La bataille de Lépante livrée le 7 octobre 1571. Les premières nouvelles n’en parvinrent à Rome que dans la nuit du 21 au 22. (Pastor, Gesch. d. Päpste, VIII, 558).