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Mon père mort et ma charge remplie, au début de mes vingt-six ans j’allai habiter à Sacco, village à dix milles (18) de Padoue et à vingt-cinq de Venise, sur le conseil et avec l’aide de Francesco Buonafede, médecin padouan, qui, par le seul souci d’une extrême justice, m’était bienveillant : je ne lui avais rendu aucun service et n’avais pas assisté à ses leçons, bien qu’il enseignât publiquement. Je restai là tant que ma patrie fut accablée de toute sorte de maux, à savoir : en 1524 une terrible peste et par deux fois un changement de maître ; en 1526 et 1527 une disette mortelle pendant laquelle on pouvait à peine à prix d’argent acheter des bons de blé ; des impôts insupportables ; en 1528 la peste et diverses maladies qui ne paraissaient un peu plus supportables que parce qu’elles ravageaient l’univers.

En 1529, les malheurs de la guerre faisant trêve, je rentrai dans ma patrie. Rejeté par le collège des médecins[1], ne pouvant rien obtenir de bon des Barbiani[2], fatigué de l’humeur chagrine de ma mère, je retournai dans mon village, mais non aussi bien que j’en étais parti : les ennuis, les peines, les soucis auxquels s’ajoutait une toux accompagnée d’amaigrissement et d’un empyème qui secrétait une humeur crue et fétide, tout cela me réduisit à un état dont on ne guérit pas d’ordinaire. (19) Délivré de cette maladie grâce à un vœu que je fis à la Bienheureuse Vierge, j’épousai sur la fin de mes trente-et-un ans Lucia Bandarini, du village de Sacco[3]. — J’ai remarqué que jusqu’à ce jour quatre actions accomplies par moi avant la pleine lune, sans y réfléchir, furent parfaites ; que je reprenais espoir quand les autres ont coutume de désespérer ; et que, comme je l’ai dit, la fortune s’arrêtait à son extrême limite. Et presque tous mes voyages jusqu’à soixante ans commencèrent au mois de février. — Après deux avortements, ma femme me donna deux fils et entre temps une fille.

L’année suivante, vers la fin d’avril, je me rendis à Gallarate où je restai dix-neuf mois au cours desquels je recouvrai la santé. Et je cessai d’être pauvre, car il ne me restait plus rien.

À Milan, par la bonté des Préfets de l’Ospedale Maggiore et grâce à l’aide de Filippo Archinto, alors sénateur et orateur distingué, je commençai à enseigner publiquement les mathématiques à trente-trois ans passés[4]. On m’offrit deux ans plus tard une chaire de médecine à Pavie que je refusai, car il n’y avait pas d’espoir de recevoir un traitement. Cette même année, c’est-à-dire (20) en 1536, je me rendis à Plaisance où m’appelait l’évêque Archinto (qui alors

  1. Sur ses démêlés avec le Collège des médecins : Dante Bianchi, G. C. e il Collegio dei Fisici di Milano, Arch. Stor. lombardo, IVe série, t. XVII (1912) pp. 283 sqq. Le motif invoqué pour refuser à Cardan l’entrée du Collège était sa naissance illégitime. Ce doute, qui n’a jamais été parfaitement résolu, semble être né de la séparation où ses parents vécurent de longues années. Voici l’explication la plus nette que Cardan ait donnée : « Mater partum occultari uolebat ne illius affines resciscerent. Pater enim meus, ut senex ac iurisconsultus uiduae matris meae pauperis publicas nuptias auersabatur : ipsa uero turpe ducebat quod diceretur non ex coniuge peperisse. » (De libris propriis, 3, [I, 96].)
  2. Les Barbiani, débiteurs du père de Cardan, se refusaient à rembourser leur dette au fils. D’où de longs procès. Cf. ici chap. XVIII.
  3. Sur ce mariage voir chap. XXVI et notes.
  4. nil