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mon âge. En passant du repos complet à un exercice (14) excessif et continu, je contractai au début de ma huitième année une dysenterie fébrile ; cette maladie était alors épidémique en notre ville ou peut-être même était-ce une sorte de peste ; et j’avais dévoré en cachette beaucoup de raisins verts. On fit appeler Bernabone Croce et Angelo Gira. Je ne revins à quelque espoir de guérison que lorsque mes parents et ma tante m’avaient déjà pleuré comme mort. Alors mon père, homme d’un cœur pieux, fit un vœu pour demander ma guérison à saint Jérôme, préférant mettre à l’épreuve la puissance de ce saint plutôt que celle de ce démon dont il se vantait d’avoir la familiarité : je n’ai jamais pensé à lui demander le pourquoi. J’étais convalescent lorsque les Français, vainqueurs des Vénitiens sur les bords de l’Adda[1], célébrèrent leur triomphe que je pus regarder de ma fenêtre. J’eus alors un peu de répit dans le soin, dans la peine incessante d’accompagner mon père.

Mais la colère de Junon n’était pas encore apaisée. À peine convalescent, je tombai dans l’escalier de la maison que nous habitions via dei Maini. Je tenais un marteau qui me blessa au haut du front, du côté gauche, entamant l’os. (15) La cicatrice est demeurée jusqu’à ce jour. Je me remettais à peine de cette blessure et j’étais assis sur le seuil : un éclat de pierre, long et large comme une noix mais mince, tomba du faîte d’une maison voisine très élevée et m’atteignit au sommet du crâne à gauche, à un endroit où les cheveux étaient touffus.

Au début de ma dixième année mon père quitta cette maison, qu’il regardait comme funeste, pour une autre située en face dans la même rue, où je demeurai trois ans. Mon sort n’en fut pas changé ; de nouveau mon père m’emmena avec lui comme un domestique — étrange entêtement, pour ne pas dire cruauté, qui semble, à en juger par ce qui s’ensuivit, provenir plutôt d’une volonté divine que de la faute de mon père, étant donné surtout que ma mère et ma tante l’approuvaient. Il en usa avec bien plus de douceur à mon égard lorsque deux de ses neveux, l’un après l’autre réduits au même esclavage, allégèrent ma peine, soit que je ne fusse pas contraint de le suivre, soit que ce fût moins pénible étant de compagnie.

Après plusieurs changements de domicile où je l’accompagnais toujours, nous allâmes enfin, quand s’achevait ma seizième année, habiter près du moulin des Bossi dans la maison d’Alessandro Cardano.

  1. 14 mai 1509.