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trente-et-un ans, je ne pus avoir commerce avec les femmes ; et je déplorai souvent ma destinée, enviant celle de tout autre. Vénus dominant, comme je l’ai dit, toute la figure et Jupiter étant dans l’ascendant, mon sort fut humble, avec un léger bégaiement et un tempérament entre le frigide et l’harpocratique, (9) comme dit Ptolémée, c’est-à-dire irrésistiblement enclin à présager sans réflexion ; dans cet art, qu’on appelle, d’un mot plus distingué, pressentiment, j’ai fait mes preuves non sans éclat, de même que dans d’autres genres de divination. Et parce que Vénus et Mercure étaient sous les rayons du Soleil, auquel ils abandonnaient toute leur force, je pouvais ainsi devenir quelqu’un, bien qu’avec une genèse (suivant l’expression de Ptolémée) misérable et infortunée, si le Soleil ne s’était pas trouvé tout à fait bas, tombant au sixième lieu, de sa hauteur. Il ne me resta donc qu’une certaine finesse d’esprit et une âme fort peu exempte de passions mais pleine de desseins téméraires et impossibles. En un mot, dépourvu de forces physiques, ayant peu d’amis, une mince fortune, beaucoup d’ennemis dont la plupart me sont inconnus de nom et de visage, sans aucune science humaine, avec une mémoire mal assurée, je n’avais de supériorité que pour la prévoyance. Aussi ne puis-je savoir pourquoi ma condition, qui paraît misérable eu égard à ma famille et à mes ancêtres, est jugée glorieuse et digne d’envie.

Ce même jour naquit autrefois Auguste ; une nouvelle indiction (10) commença pour tout l’empire romain ; Fernand, le magnanime roi d’Espagne, et son épouse Élisabeth[1] envoyèrent pour la première fois la flotte qui leur acquit tout l’Occident.


  1. Isabelle.