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mon fils, on ne me laisse pas le pleurer ! Et la gloire éternelle que je donnais en dernier hommage à ses cendres, et les causes de sa mort injuste, je suis contraint de les taire. Enfant, sous un prince qui ne manquait pas de douceur, tu as subi la terrible sentence du Sénat, d’après l’exemple affreux des anciennes lois, quand tu te hâtais pour mettre un terme aux crimes d’une courtisane perfide. Maintenant, sans être inquiétée, l’adultère insulte aux époux, et on châtie le noble jeune homme dont la droite est vengeresse. Hélas, fils bien-aimé, fidèle image de la vertu paternelle, tu étais digne de vivre éternellement. On ne te l’a pas permis, les Parques emportent tout bien (300) vers les cieux et, ce qui brille, elles l’arrachent à la ténébreuse terre. Enfant, tu avais la vertu du cœur comme la gloire du sang et tu suivais ton père et ton aïeul dans le chemin de l’honneur. Lointain est le roi, espoir certain de salut ; Phébus et Phébé refusent leur lumière à la terre ; aucune étoile ne brille dans le ciel serein pour ne pas voir le sombre palais souillé par ce meurtre. Où irai-je ? quel endroit de la terre renferme maintenant tes membres, ta tête tranchée, ton corps déchiré ? Dis-le moi, mon fils, à moi qui t’ai cherché par les terres et par les mers. Et vous, cruels, tuez-moi si vous avez quelque pitié, (301) jetez tous vos traits contre moi ; que je sois le premier que votre fer fasse périr. Ou toi, puissant père des Dieux, prends pitié de celui qui t’appartient, frappe ma tête odieuse et précipite-moi dans les Enfers, puisque je ne puis, autrement, mettre fin à ma cruelle vie. Ce n’étaient pas ces promesses, mon fils, que tu avais faites à ton père : tu devais être plus prudent en te confiant au cruel amour. C’est lui qui a perdu mon fils. Ô sainte femme, quel bonheur pour toi d’être morte et de n’avoir pas vécu pour souffrir ainsi. C’est moi, mon fils, qui ai taché ton nom d’un crime ; moi que la jalousie a chassé de ma patrie et du foyer paternel, je devais une expiation à ma patrie et aux haines des miens. (302) J’aurais donné moi-même, à travers toutes les morts, mon âme coupable ; en vivant j’ai triomphé des destins : pourtant ton nom, mon fils, vivra éternellement dans les siècles. Connu des Bactriens, connu des Indiens, tu n’es mort pour nous que pour vivre dans tout l’univers.