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XLIX

MON JUGEMENT SUR LES CHOSES DE CE MONDE

Le malheur des humains a deux grandes causes. Alors que tout est vain et futile, l’homme cherche quelque chose de substantiel et de solide. Et quand on croit manquer de ce quelque chose de solide, — le malade de la santé, le pauvre des richesses, l’homme sans famille des enfants, le malheureux d’amis — on cherche, on ne trouve pas, et on se torture ; c’est encore pis quand on trouve ; on est déçu et on continue à chercher, car il manque toujours quelque chose. Ainsi Auguste se plaignait du défaut d’amis et de l’impudicité dans sa famille. Ceux-là se trompent eux-mêmes. L’autre cause se trouve (280) chez ceux qui croient savoir ce qu’ils ignorent : ils se trompent et ils trompent autrui ; d’autres feignent de savoir, et eux aussi trompent les autres.

À ces maux s’en ajoutent deux autres qui tiennent aux circonstances, quand on vit dans des pays et à des époques où l’état fait naufrage à cause de lois mauvaises. Essayer de résister est bien difficile, plein d’angoisse et absolument déraisonnable ; échapper aux conditions générales est aussi dangereux sans être moins difficile : les bien-fonds et l’argent souffrent les répercussions des malheurs publics. L’autre effet du hasard est l’incertitude où est enfermée notre courte vie ; à cause de quoi la plupart des hommes meurent à la tâche pour le profit d’autrui. Ces difficultés, qui existent pour tous, sont plus grandes pour les vieillards et les gens peu avisés, et il est presque impossible d’en triompher pour qui est sans expérience ou sans attention. Elles sont aggravées par la sottise d’autrui qui, accompagnée de l’ignorance, rend les méchants plus mauvais encore pour eux-mêmes et pour les autres. C’est pourquoi certains se joignent à des groupements. Pour d’autres le premier moyen à proposer est la pensée de Dieu et de la mort : de l’un, comme de celui qui ne