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par la volonté de Dieu ce qui doit arriver et ne tombe jamais dans l’erreur. La nature est aussi instruite à faire toujours comprendre correctement à l’âme de ce qu’elle perçoit de l’esprit, mais l’instrument à l’aide duquel elle veut instruire n’est pas toujours bien préparé à recevoir. Que ce soit une vapeur ou un autre moyen, il en résulte une forme imparfaite qui ne montre rien ou montre autre chose que ne voudrait l’esprit ou la nature ; de là l’erreur ou l’ignorance. La seule (267) différence tient à ce que les philosophes les attribuent à une matière inapte à recevoir la forme, les théologiens à la volonté de Dieu, pour l’ordinaire à cause de nos péchés.

Du reste je ne voudrais pas qu’on s’abusât sur le mode de ma connaissance dont j’ai si souvent parlé, en comprenant que j’ai reçu de mon esprit familier tout ce que je sais. À quoi bon alors l’intelligence ? Ou bien je saurais tout, et je serais Dieu ! Or ma science, comparée à la connaissance des immortels, est comme l’ombre d’un homme par rapport à un palais immense. Il y a trois voies pour arriver à la connaissance. D’abord par les sens, au moyen de l’observation de beaucoup de faits ; c’est ce dont le peuple et les ignorants font grand cas en moi. Mais bien que ce mode de connaissance soit double (elle considère seulement ce qui est ou le pourquoi de ce qui est), dans la plupart des cas il suffit de savoir ce qui est, parce que j’ai jugé indigne d’application la recherche de la cause de ces bagatelles. La seconde est la connaissance qui s’applique à des objets plus élevés, en recherchant la cause conformément aux diverses disciplines ; on l’appelle d’ordinaire démonstration, parce qu’elle remonte de l’effet à la cause. Je l’emploie pour m’acheminer à l’amplification, à la splendeur, et aller du particulier au général. (268) Dans cette voie j’ai rarement réussi par mon art, mais le plus souvent j’ai reçu le secours de mon esprit familier. Cette connaissance est celle qui, chez moi, a été prisée par les savants : ils jugeaient qu’elle procède de mon érudition et de la pratique, et c’est pourquoi la plupart m’ont considéré comme doté d’application et de mémoire, quand ce n’était rien moins que cela. La troisième, qui est la connaissance des objets incorporels et des immortels, m’est venue tout entière de mon esprit familier par démonstration simple, c’est à dire qu’il indique la cause. Cette connaissance est très certaine grâce à la démonstration. Pourtant ce ne sont pas ici les mêmes notions que plus haut, soit qu’elles mènent souvent à l’absurde, soit qu’elles ne représentent pas une ex-