Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’impression que ma chambre tremblait[1]. Et il (263) exerça la même action sur mon valet, si bien que lui et moi nous sentîmes un tremblement de terre que ne remarqua aucun habitant de la ville, puisque la terre n’avait pas tremblé. Si mon fils ne s’était pas marié — et cela n’aurait pas été possible sans grandes querelles — je n’aurais pas pu me considérer comme trompé, je lui aurais dû au contraire une reconnaissance plus grande pour m’avoir indiqué comment éviter ce malheur. De même, dans ma prison[2], il provoqua pour moi et mon jeune compagnon l’apparence de ces bruits, sur un ordre du ciel, je le crois, pour affermir ma confiance dans l’assistance divine, en m’annonçant que j’échapperais à la mort, et pour me faire paraître moins cruelles toutes mes épreuves.

D’après ces faits, on comprend que cet esprit est puissant : il se manifeste par des signes qui sont perceptibles aussi à d’autres que moi, ou qui frappent deux sens à la fois, comme dans ce Te sin casa[2]. De même les prodiges de l’année 1531 — le chien, le corbeau, l’étincelle[2] — se réalisèrent parce que cet esprit est capable de mouvoir l’âme d’animaux privés de raison ; de la même manière, les hommes sont frappés de crainte par des ombres et se laissent décevoir par des objets qui brillent, comme une pierre précieuse ou du métal.

Dans l’ensemble, les démons des anciens présentèrent de nombreux caractères différents : (264) les uns formulaient des défenses comme celui de Socrate, les autres des avertissements comme celui de Cicéron au moment de sa mort, d’autres faisaient connaître l’avenir par les songes, par les bêtes, par les accidents, en nous poussant à aller à un endroit déterminé, en nous trompant par un sens ou par plusieurs à la fois — ce qui est plus noble —, ainsi que par des phénomènes naturels, ou enfin — et c’est ce que je considère comme le plus noble — au moyen de signes surnaturels, Il y a aussi de bons et de mauvais démons.

Il reste des doutes sur un point : pourquoi cette sollicitude pour moi et non pour d’autres ? Car je ne suis pas supérieur par les connaissances comme d’aucuns le pensent, — c’est peut-être le contraire. Dois-je cette faveur à mon amour sans bornes pour la vérité et la sagesse, accompagné du mépris des richesses, même dans l’état de pauvreté où je suis ; ou à mon goût de la justice ; ou encore pour que j’attribue tout à Dieu et à peu près rien à moi ; ou peut-être dans un autre but connu de lui seul ?

  1. Voir chap. XLI.
  2. a, b et c Voir chap. XLIII.