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époque. Que peut-il donc arriver de malheureux à celui qui fait ces réflexions ? La naissance, la fin, la destinée sont communes à tous, (253) mais pour nous la mort laisse la véritable joie. Nous nous trompons de quatre manières, comme je l’ai exposé plus haut : en croyant qu’il y a dans cette vie quelque chose de solide, et notre erreur est encore plus grande s’il s’agit d’actions médiocres ; en ne nous rendant pas compte qu’il n’y a rien ici bas de durable et encore moins d’éternel ; troisièmement, en estimant que l’esprit vieillit même si l’âme survit, parce que son activité qui est liée à celle du corps se ralentit. Mais j’affirme absolument que rien en nous ne vieillit, ni l’âme ni le corps. Car, pour l’âme, si l’instrument subsiste, son action persiste aussi, comme je le crois maintenant. Quant au corps, selon les philosophes, surtout les platoniciens comme on le voit dans le Phédon, il n’est pas la part la plus élevée de notre être ; pour l’activité de l’esprit, qui est la partie la plus élevée et la plus parfaite, bien qu’elle puisse être entravée [par les circonstances extérieures], elle n’en a pas besoin [pour se produire] ; ce sont en effet deux choses différentes. Le soleil a besoin d’air pour briller ; l’air est la cause de l’éclat du soleil ; le manque d’air empêche le soleil de briller. Voilà la pensée qui a inspiré mon projet, voilà le but de ce livre.

Un deuxième livre [de ce genre] a pour titre Memorialis. Toute la doctrine rassemblée dans le premier, comme je l’ai dit, est ici divisée et répartie de façon à te fournir des consolations (254) et même des secours dans quelle situation que tu puisses te trouver. Un troisième est le Promptuaire, qui n’a pas seulement en vue le gain et l’honneur, mais veut montrer qu’il est beau de remplir une fonction de charité et de s’acquitter de son devoir ; il veut te faire connaître aussi la grandeur de tes devoirs là où les autres ne croient même pas en avoir. Et si c’est une satisfaction pour un architecte de n’avoir pas construit une maison au hasard, mais suivant les règles de l’art, elle doit être bien plus grande pour un homme qui a pu sauver un autre homme et reconnaît ce dont il est capable. Le quatrième ouvrage — celui-ci — est le nombril de mes écrits : je l’ai composé pour mon plaisir et par sentiment religieux. Si je l’avais sciemment souillé de quelque mensonge comment voudrais-tu que soit mon âme devant Dieu ? ou quel plaisir pourrais-je y prendre ? Il est vrai que les hommes sont comme des bêtes brutes, qui n’aiment pas ce qui est bon mais seulement ce qu’elles peuvent digérer, comme les