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gretter de n’avoir pas reçu de nous les services qu’un homme de bien doit rendre. Aussi ai-je écrit le De inventione, le De conscribendis libris et le De libris clarorum virorum, pour confirmer par mes actes ce que j’avais célébré en paroles ; l’Hymne et les Vies[1] pour affirmer du moins que, dans mon âme, je ne suis pas ingrat envers ceux de qui j’avais beaucoup reçu ; les notes complémentaires[2], parce que, à mon avis, pour qu’un livre soit d’une très grande utilité il ne suffit pas d’y apporter un soin scrupuleux, il faut encore pousser ce soin jusqu’à la perfection ; car, si tout ce qui est supérieur s’impose et constitue une parure, les erreurs, les négligences, le manque de soins fatiguent l’esprit des lecteurs, enlèvent de l’autorité aux livres eux-mêmes et sont un dommage pour le bien commun. L’exemple d’Aristote et de Galien m’a appris que ce travail était possible : pour eux ce scrupule était nécessaire parce qu’ils traitaient de sujets généraux ; c’était à la fois prudent et bienséant pour moi qui m’occupais de fragments. Dans la mesure de mes forces, j’ai mis cette exactitude à écrire le livre De optimo vitae genere, quand je ne trouvais que cette voie pour me débarrasser du souvenir de mes maux passés, de la gêne des dangers présents (252) et de la menace des dangers à venir : pouvoir, dans notre condition mortelle se créer une immortalité ; mourir sans souffrir les désagréments de la vieillesse et pourtant dépasser la jeunesse ; rester calme dans l’agitation perpétuelle des événements et constant dans la révolution continue du temps. Je voudrais que ces quatre points se fussent réalisés, en négligeant tant de malheurs et d’autres désagréments, qui ont été pour moi beaucoup plus nombreux qu’il n’est nécessaire à chaque mortel.

En résumé, tout ce qui est arrivé devait arriver, comme par exemple, la mort des miens. Mais il n’était pas nécessaire que ce fût de cette façon ? — Qu’importe ? — Le retour sera le même pour tous. — Mais non tout de suite ! — Le malheur importe-t-il beau coup si l’événement doit se produire bientôt après. Il n’y eut, il n’y aura jamais aucune trêve pour les mortels. Compare ce qui arrive maintenant à ce qui se passait, et à la situation au temps de Polybe. De nos jours ce sont parures de roses ; alors on pouvait parler de malheurs : aucune sûreté, des meurtres sans motifs, l’esclavage ; la spoliation de tous les biens n’était qu’un badinage. Un autre avantage pour nous est la contemplation de la vie éternelle et bienheureuse, que nous connaissons et que ne connaissaient pas les gens de cette

  1. Hymnus seu Canticum ad Deum (I, 695-701), Vita B. Virginis, Vita B. Martini.
  2. Les dispunctiones dont il a accompagné la vie de Saint-Martin.