Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

année, j’en brûlai neuf parce que je compris qu’ils seraient sans valeur et d’aucune utilité. Il y avait là-dedans beaucoup de fatras, surtout en médecine. De ces livres je ne tirai rien et je n’en conservai aucun en entier, sauf le De malo medendi usu, qui fut ma première publication[1], et les rudiments d’arithmétique dont je me servis pour bâtir mon Arithmetica parva. Un peu plus tard, vers 1541, je publiai un opuscule De supplemento ephemeridum qui, après avoir été augmenté dans la deuxième édition, reçut de nouvelles additions et fut encore réédité[2]. En 1573, lorsque mes malheurs avaient déjà pris fin, j’en brûlai cent vingt autres, mais je ne fis pas comme la première fois ; j’en tirai tout ce qui me parut utile et j’en conservai quelques uns tout entiers, comme le Liber technarum calidarum[3], (246) extrait de mon grand recueil de contes, et le Liber de libris clarorum virorum. J’en ai transformé d’autres, comme Diomède qui reçut « des armes de bronze en échange d’armes d’or, ce qui valait neuf contre ce qui valait cent[4] ». Je fis mes livres parce qu’ils me plaisaient, je les détruisis parce que j’en fus mécontent, et l’événement me donna raison dans les deux cas. Plus tard, à la suite de songes répétés[5], j’écrivis les livres De subtilitate que j’imprimai, puis augmentai pour une deuxième édition et que je publiai enfin une troisième fois avec de nouveaux suppléments. Je passai ensuite à l’Ars magna, que je composai pendant que j’étais aux prises avec Giovanni Colla et Tartaglia, qui m’avait fourni le premier chapitre et qui préféra m’avoir pour rival et supérieur à lui, plutôt que pour ami lié par la reconnaissance, alors que la découverte appartenait à un autre[6]. Pendant que je voyageais sur la Loire, n’ayant rien à faire, j’écrivis mes commentaires sur Ptolémée, en 1552. J’ajoutai, en 1568, les traités De proportionibus et Aliza regula à mon livre Ars magna et je publiai le tout ; puis, j’ajoutai à mon arithmétique les deux livres de la Geometria nova et celui De musica ; mais ce dernier, six ans plus tard, c’est à dire en 1574, je l’ai corrigé et fait recopier. J’ai publié les livres De rerum varietate en 1558 : (247) c’étaient les restes des livres De subtilitate que je n’avais pu mettre en ordre et corriger à cause de la multitude de mes occupations : mes fils peu soumis ou sans capacités, mes revenus à peu près nuls, l’enseignement sans répit, la direction de ma maison, l’exercice de mon art en ville, les consultations, la correspondance, et tant d’autres choses qui ne me laissaient pas le temps de respirer et moins encore de corriger [mes livres]. Parmi tous ces

  1. En 1536 (cf. chap. XV et n. 1). Il omet les almanachs qu’il avait publiés antérieurement (chap. XXV et n. 2).
  2. La première édition, à frais d’auteur, dédiée au prince d’Iston, est inconnue de tous les bibliographes. La 2e dont il parle est celle de Nuremberg, 1543 ; la 3e parut en 1547, également à Nuremberg.
  3. Ce recueil, dont le titre italien était Delle burle calde et qui n’a jamais été publié, est un des « libri volgari che diceva il Ridolfo (Silvestri), che fu suo discepolo, che li dettava mentre mangiava e mentre voleva ricreare e sollevare la mente da più serj studj ». (Lettre de Fabrizio Cocanaro au Cardinal Frédéric Borromée, en date du 22 février 1619, citée par Argelati, Bibl. script. mediol., I, 2, p. 314).
  4. La citation semble faite à contre-sens.
  5. Cf. De Subtilitate, XVIII (trad. fr. 453) : « Souvent i’ay esté admonesté en songeant d’escrire et composer cet œuvre diuisé, comme il me sembloit, en 21 parties… et i’estoy tant espris de volupté et grand plaisir en ce songe, que iamais ie n’en senty vn pareil : il me sembloit que ie fusse rauy hors du sens… »
  6. Cardan n’a pas toujours été aussi modéré dans la polémique. (Cf. De libris propriis, I, 122). Ces quelques lignes résument avec discrétion la longue querelle que provoqua la résolution de l’équation du troisième degré. Ayant appris par Giovanni Colla (Zuan Tonini da Coi), un aventurier des mathématiques, que le brescian Nicolò Tartaglia avait trouvé des règles pour la solution du problème du cube égal à un nombre, Cardan à force de prières et de promesses obtint communication, sous une forme d’ailleurs sibylline, de ces précieuses règles. Il s’était engagé à ne les point publier mais, passant par Bologne, il eut les preuves que Tartaglia avait été devancé par un autre mathématicien, Scipione del Ferro. Il se considéra dès lors comme dégagé de sa promesse et communiqua au public, dans son Ars Magna, et les découvertes de Del Ferro-Tartaglia et les compléments dont il les avait enrichies en collaboration avec son disciple Lodovico Ferrari. D’où plaintes, accusations, injures de la part de Tartaglia, à qui Cardan avait cependant rendu pleine justice. Voir Quesiti et inuentioni diuerse di Nicolò Tartaglia (3e éd. Venise, 1554), l. IX, Quesito XXV et suiv. — Pour les suites de la polémique voir ici chap. XLVIII, note.