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dont la bienveillance montre qu’il n’a pas détourné son regard de toi ? Alors il me sembla déjà être à l’abri de la mort que je redoutais, et je menai une existence aussi heureuse que le comporte la nature humaine. De cette façon, je continuai une vie que j’avais cru perdue, en me souvenant qu’avant je ne pouvais rester, ne fût-ce qu’un moment, dans ma prison sans croire étouffer. (232) Cet étonnant prodige a eu pour témoin, comme je l’ai dit, Rodolfo qui, l’année suivante, fut reçu docteur.

Ces événements merveilleux, au moment où ils se réalisent ou quand ils sont encore récents, attirent à eux l’homme tout entier. Par contre, lorsqu’il se sont refroidis ou qu’ils ont pâli, à moins de les avoir, en quelque sorte, solidement fixés par quelque marque comme avec un clou, on en vient presque à douter de les avoir vus ou entendus. Je suis persuadé que les raisons de ce fait sont beaucoup plus profondes que la distance qui sépare notre nature des causes de ces phénomènes. Je sais bien que, là-dessus, les gens qui veulent paraître fins soulèveront des plaisanteries et des rires. Leur chef de file serait Polybe, philosophe sans philosophie, qui n’arriva pas à comprendre la tâche de l’histoire, mais qui, en lui donnant trop d’extension, s’est rendu ridicule. Malgré tout, il est parfois merveilleux, par exemple au deuxième livre de ses histoires, là où il parle des Achéens. Bref, Tartaglia avait raison de dire que personne ne sait tout. Ou mieux, ils ne savent rien ceux qui ne savent pas qu’ils ignorent beaucoup de choses. Voyez Pline qui, tout en nous ayant laissé une si brillante histoire, se montre un bœuf quand il traite du soleil et des astres. Qu’y a-t-il donc d’étonnant si, se mêlant de sujets plus élevés et plus divins, (233) Polybe a si clairement révélé son ignorance ? Il me suffit, et je le jure religieusement, d’avoir la connaissance et l’intelligence de ces prodiges, qui me sont plus chères que la domination même durable de l’univers. Que serait-ce si je voulais ajouter ici les récits que faisaient mes aïeux ? Ils sont semblables à des contes et me paraissaient autrefois risibles. Pourtant, après ce que j’ai moi-même saisi avec tant de certitude, quelle petite figure cela ferait. Mais je n’ai pas osé accorder assez d’estime à la sagacité et à l’exactitude de mes aïeux, pour espérer qu’une confirmation soit possible. Je me contente de rappeler que ces prodiges se produisent le plus souvent à l’improviste et à propos de ceux qui doivent mourir, surtout de ceux qui se sont distingués dans le bien ou