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ment. Pour moi, qui ne m’attendais pas à tant de malheur, je ne pus comprendre le présage que c’était : sur la ruine de ma fortune une brise plus douce soufflerait un jour.

Plus tard, au mois de juin, si je ne me trompe, en écrivant à ce même cardinal, je cherche mon sablier. Après l’avoir cherché longtemps et partout, (230) je pense à ramasser par terre de la poussière pour la jeter sur ma feuille, je soulève celle-ci et je vois qu’elle avait dissimulé ma boîte à sable qui était ronde, haute d’un pouce et quart avec un diamètre d’un pouce. Comment avait-elle pu rester cachée sur une surface plane ? Le présage s’appliquait au cardinal et confirmait l’espoir que j’avais conçu de son humanité et de sa sagesse : il agirait auprès d’un pontife excellent, pour que je n’aie pas à supporter de si grands malheurs comme prix de tous mes labeurs.

Mais tout cela fut rendu clair, facile à comprendre et certain par ce qui suivit le 8 octobre de la même année. J’avais été emprisonné le 6 octobre[1] et j’avais donné une caution de mille huit cents écus. Ce jour-là, à la neuvième heure du jour, comme le soleil brillait dans ma prison, quand les autres[2] furent partis, je dis à Rodolfo Silvestri de fermer la porte de ma chambre. Il trouvait pénible de le faire et il était très surpris de ce qui lui paraissait un ordre à rebours du bon sens. Pour moi, soit par la volonté de Dieu, soit sous l’influence de cette idée que je voulais associer un acte de ma volonté à ce que j’avais été contraint de supporter malgré moi, je persistai. Il obéit donc. À peine la porte de la chambre était-elle fermée, elle fut frappée d’un si grand coup qu’on pouvait l’entendre (231) de loin. Sous nos yeux, le coup se répercuta avec autant de fracas sur les battants de la fenêtre, éclairés par le soleil ; il sembla heurter aussitôt sur la fenêtre et sur les barreaux avec un son aigu, et se dissipa. À ce spectacle, je me mis à gémir sur ma misérable destinée. Mais ce que j’interprétais comme la marque certaine d’une mort fâcheuse se révéla comme ayant rapport à la vie. Peu après, en effet, je commençai à raisonner ainsi avec moi-même : si tant de gentilshommes, jeunes, bien portants, heureux, s’exposent à une mort assurée rien que pour plaire à leur roi, tout en n’ayant rien à attendre de la mort, toi, vieillard décrépit et presque déshonoré, comment peux-tu souffrir pour un crime, si on te juge coupable, ou pour une injustice, si tu ne mérites pas cette peine, devant Dieu

  1. Voir chap. IV note 9.
  2. Sans doute les agents de la justice.