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l’émeraude, j’étais tourmenté jusqu’à sentir la sueur de la mort. Ainsi je recouvrai le sommeil et, à ce qu’il me semblait, toute ma manière d’être habituelle. Ce qui est absolument merveilleux c’est que jamais, entre les changements dans un sens ou dans l’autre, je ne pus remarquer aucun intervalle.

La nuit qui précéda le 15 août 1572, (228) la lumière était allumée et je veillais — il n’était pas loin de la deuxième heure de la nuit — voilà que j’entendis un grand bruit à droite comme si on déchargeait une voiture pleine de planches. Je regardai : le son s’était produit à l’entrée de ma chambre. De la chambre où dormait mon valet et dont la porte était ouverte, je vis entrer un paysan. Je regardai attentivement vers lui pour bien des raisons. Il s’avança à peine jusqu’au seuil et prononça : « Te sin casa ». Cela dit, il disparut. Je ne reconnus ni la voix ni le visage et je ne pus retrouver en aucune langue ce que cela signifiait. J’ai déjà répondu à la question : pourquoi cela ? Mais si quelqu’un objecte : pourquoi de pareils miracles arrivent-ils à peu de gens et pourquoi, s’il en est ainsi, les hommes s’efforcent-ils d’atteindre le pouvoir, les magistratures, les objets de leurs espérances par tant de moyens même abominables ? Je répondrai que ce n’est pas ici la place de l’indiquer, que mes épaules ne sont pas faites pour porter un tel poids et que je renvoie aux théologiens. Qu’il me suffise d’avoir fait un récit véridique.

Je ne parlerai pas de ce tonnerre qui, à Bologne, tomba sur ma chambre, mais sans foudre et sans fracas, ce qui est un moindre mal. Le bruit des planches fut toujours mauvais quoique, en (229) aucun cas, il n’ait été suivi de mort, sauf pour ce qui est de ma mère, mais elle succombait déjà à la maladie et à la vieillesse. Je n’insisterai pas non plus sur les caprices de mon horloge, qui peuvent être facilement rapportés à des causes naturelles ; non plus que sur cette terre qui, en octobre et novembre 1559, paraissait sortir de dessous le foyer et des environs : je la vis de mes yeux, non pas à moitié endormi, mais en pleine lumière.

Vers le 24 mars 1570 j’avais écrit, pour mon protecteur le cardinal Morone, une ordonnance dont une feuille tomba par terre, ce qui m’attrista. Je me levai alors, et la feuille se souleva en même temps que moi, se déplaça jusqu’à ma table et là, dressée, elle se colla à la traverse. Poussé par l’étonnement, j’appelai Rodolfo [Silvestri] et lui montrai la merveille, mais il n’avait pas vu le mouve-