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bruit. Que m’annonce tout ceci ? me disais-je, et d’où viennent tant de sinistres merveilles ? Pourquoi les canards se joignent-ils aux porcs ? Ceux-ci continuèrent à grogner toute la nuit. Le matin, troublé de tant de visions et ne sachant que faire, j’errai (224) hors de la ville après le déjeuner. En rentrant je vis ma mère qui m’engageait à me hâter. Notre voisin Giovanni, autrefois commissaire à l’hygiène en temps de peste, avait été frappé par la foudre. On racontait que, douze ans avant, quand il remplissait ces fonctions et que la peste faisait rage, il avait beaucoup volé ; il avait une concubine, ne se présentait jamais à la confession, et peut-être avait-il commis d’autres actions pires. Il était notre voisin, et nous n’étions séparés que par une petite maison. Je l’examinai et je reconnus qu’il était bien mort. Cette mort me délivra d’inquiétude. On dira : « Mais alors, à quoi bon ces prodiges pour toi ? » « Peut-être pour me sauver ! » Car quelquefois, bien que rarement, il m’était arrivé de m’asseoir sous le porche de sa maison pour causer, parce que l’endroit était très frais.

J’eus un autre avertissement lorsque ma mère était à l’extrémité. Je me réveillai quand le soleil brillait déjà assez haut ; je voyais et je ne distinguais rien. J’entendis quinze coups (je les ai comptés), comme de l’eau tombant goutte à goutte sur le pavé ; dans la nuit précédente j’en avais compté environ cent vingt ; mais je doutais, pour les avoir entendus à ma droite, que ce ne fût quelqu’un de la maison, qui cherchât à se jouer de mon inquiétude. Les coups qui se produisaient pendant le jour n’auraient servi qu’à (225) donner crédit à ceux de la nuit. Peu après j’entendis comme le bruit d’une voiture portant des planches, qu’on aurait déchargées, tout à la fois sur le plafond. La chambre trembla, et à ce moment ma mère mourut, je l’ai déjà dit. J’ignore la signification des coups.

Je négligerai ce que je crus entendre vers la mi-juin 1570 : malgré la porte fermée et les barreaux des fenêtres, quelqu’un allait et venait dans ma chambre, puis s’asseyait auprès de moi sur un coffre qui craqua. Peut-être faut-il rapporter ceci à la tension excessive de mon esprit. Je ne pus d’ailleurs interroger personne sur ce sujet.

Qui fut celui qui me vendit un Apulée en latin, quand j’avais déjà vingt ans, sauf erreur, et qui s’éloigna aussitôt ? Moi qui jusqu’alors n’avais été qu’une fois à l’école, moi qui n’avais aucune notion de latin, j’avais inconsidérément acheté le livre parce qu’il était doré. Le lendemain je me trouvais aussi avancé en latin que je le