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tient pourtant plutôt du miracle que de simples oracles. Je l’ai déjà dit, je ne m’en attribue pas le mérite, car je préférerais mourir que rechercher la gloire par ce moyen. En effet, j’ai annoncé dès le début la perte de Chypre et j’en ai indiqué les causes. Je n’ai pas hésité un instant sur le sort de la citadelle d’Afrique. Je ne voudrais pas que quelqu’un jugeât mes prédictions tirées de trop loin, inspirées par un démon ou dérivées des astres, alors que j’y emploie seulement l’oracle d’Aristote : il n’y a de vraie divination, dit-il, que de la part des hommes avisés et sages. Je recherchai avec soin les éléments de la situation ; je m’étais d’abord informé de la nature des lieux, des mœurs des hommes, de la valeur des princes ; j’avais dépouillé l’histoire d’un grand nombre de faits importants et peu connus ; puis, aidé de mes artifices, que je vais exposer, j’émettais mon jugement.

Apprenez donc quels sont mes artifices : une doctrine solide, le dilemme, le trope, l’amplification, une splendeur singulière, un exercice prolongé, diligent assidu dans la dialectique, et la réflexion plus importante encore que cet exercice.

Certaines choses, cependant, me sont arrivées dans des conditions telles que j’aurais peine à en rendre compte. Je me rappelle que, dans ma jeunesse, un certain Giovanni Stefano Biffi (220) était convaincu que j’étais chiromancien, et pourtant rien de moins vrai. Il me demanda une prédiction de sa vie. Je lui répondis qu’il avait été trompé par ses associés ; il insista ; je lui demandai pardon d’avoir à lui donner une annonce plus grave et je dis qu’il était en danger prochain d’être pendu. Dans les huit jours, il fut arrêté et mis à la question ; il nia obstinément le crime dont on l’accusait ; néanmoins, six mois plus tard, il finit sa vie sur le gibet, après avoir eu la main coupée.

On ne pourrait pas dire également fortuit ce qui vient d’arriver, dans le courant de ce mois, avec Gian Paolo Eufomia, un jeune homme autrefois mon élève, et dont il existe une preuve écrite. Il était bien portant. Un soir je me fais donner un papier sur lequel j’écris : s’il ne prend pas garde il mourra bientôt. Il n’y avait là ni consultation des astres, ni recours à mes trucs. J’indiquai les raisons que je passe ici sous silence, je les lui communiquai. Dans les huit ou dix jours il tomba malade et mourut peu après. De tels faits paraissent presque des miracles aux ignorants. Si un homme avisé lit ce livre et réfléchit, il dira que j’ai vu ce qui était déjà réalisé et non que j’ai prévu l’avenir.